CHAPITRE II - François, Mick… et Paule

 

Depuis qu'elle avait appris l'arrivée de ses cousins, Claude avait retrouvé sa bonne humeur. Elle fit même des frais de politesse pour Paulette! Mis au courant de la nouvelle, M. Girard se gratta la tête.

« Impossible de loger vos frères dans la maison, Annie, décréta-t-il. Toutes les chambres sont occupées. Ils viendront prendre leurs repas avec nous, mais ils devront coucher dans les écuries ou sous la tente, à leur choix.

— Il y aura dix enfants en tout, remarqua sa femme. François, Michel, Annie, Claude, Paule, Jean, Suzanne, Alice, Marie et Pierre. Il faudra peut-être que Paule campe aussi.

— Pas avec nous! s'écria Claude.

— Vous n'êtes pas très gentille pour Paule, dit Mme Girard. Pourtant vous vous ressemblez beaucoup toutes les deux; vous êtes désolées de ne pas être des garçons et…

— Je ne ressemble pas du tout à Paulette! protesta Claude, indignée. Mes cousins ne seront pas de cet avis. Je crois qu'ils ne voudront même pas lui adresser la parole.

— Il faudra vous entendre si vous voulez rester, dit Mme Girard. Je vais chercher des couvertures. Les garçons en auront besoin, qu'ils dorment dans une écurie ou sous une tente. Venez m'aider, Annie. »

Annie, Claude et Paule étaient plus âgées que les cinq autres enfants qui passaient leurs vacances à la ferme… Mais tous, grands et petits, étaient ravis de l'arrivée prochaine de François et de Michel. Claude et Annie avaient raconté leurs aventures et les deux garçons faisaient figure de héros.

Après le goûter, ce jour-là, Paulette disparut et on ne la revit plus jusqu'au soir.

« Où étiez-vous? demanda Mme Girard à l'heure du dîner.

— Dans ma chambre, répondit Paulette. Je cirais mes souliers et je recousais les boutons de mon chemisier ainsi que vous me l'avez dit je ne sais combien de fois.

— Ah! ah! C'est en l'honneur de François et de Michel », dit M. Girard. Paule prit aussitôt un air offensé.

« Jamais de la vie! dit-elle. D'avance, les cousins de Claudine me sont tout à fait antipathiques.

— Mes frères trouveront peut-être grâce devant tes yeux, dit Annie en riant. S'ils ne te plaisent pas, c'est que tu manques de goût.

— Ne dis donc pas de bêtises! s'écria Paulette. Tes frères sont en même temps les cousins de Claudine. »

Trop heureuse pour entamer une querelle, Claude haussa les épaules et sortit avec Dagobert.

« Ils arrivent demain, Dago, dit-elle. François et Mick! Le Club des Cinq va se trouver de nouveau réuni! Tu es content, n'est-ce pas, Dagobert?

— Ouah! Ouah! » approuva Dagobert en remuant la queue.

Le lendemain matin, Claude et Annie cherchèrent l'heure du train dans l'indicateur. La gare était à trois kilomètres de la ferme.

« Voilà, dit Claude, le doigt sur la page. Onze heures dix. C'est le seul train du matin. Nous irons les attendre.

— Oui, dit Annie. En partant à dix heures et demie, nous arriverons bien à temps. Nous les aiderons à porter leurs bagages.

— En attendant, voulez-vous mener les quatre poulains dans le pré de la Belle-Epine? Demanda M Girard.

— Oh ! oui, répondit Annie avec enthousiasme. Viens Claude, partons tout de suite. Il fait un temps délicieux. »

L'étroit sentier qui conduisait au pré était bordé de haies d'aubépine et de touffes de violettes et de primevères. Les quatre poulains gambadaient sous la surveillance de Dagobert qui s'entendait très bien avec les chevaux. Quelques minutes après le départ des cousines, le téléphone de la ferme sonna. Une voix demanda Annie.

«  Je regrette, elle n'est pas ici, répondit Mme Girard. Qui est à l'appareil?... Ah! François, son frère ? Voulez-vous que je lui fasse une commission ?

— Vous seriez bien aimable, madame, dit François. Voulez-vous lui dire que nous arriverons par l’autocar et que nous serons à neuf heures à l'arrêt du Chêne-Vert? Elle ferait bien de venir avec une brouette parce que nous apportons notre tente et tout notre barda.

— Je vous enverrai Claude et Annie avec la petite charrette, promit Mme Girard. Nous sommes très contents de vous recevoir… Il fait un temps splendide et vous vous amuserez bien.

— J'en suis sûr! dit François. Merci beaucoup de nous accepter, madame. Nous ne vous dérangerons pas et nous vous aiderons de notre mieux. »

Mme Girard raccrocha et appela Paulette qui passait devant la fenêtre, plus soigneusement mise que d'habitude.

« Paule! François et Mick arrivent au Chêne-Vert à neuf heures et j'ai promis de leur envoyer la charrette. Avertissez Claude et Annie. Où sont-elles?

— Elles conduisent les poulains à la Belle-Epine et ne seront pas de retour à temps! répondit Paulette. Je peux atteler et les remplacer, si vous voulez?

— C'est cela. Ce sera très gentil de votre part, Paule. Mais dépêchez-vous, il est déjà tard. Prenez la jument grise, elle est dans la grande prairie.

— J'y cours », dit Paule.

Elle eut bientôt attelé la jument et s'installa sur le siège. Elle partit en riant à l'idée que Claude et Annie seraient furieuses d'avoir manqué les deux garçons.

François et Mick étaient déjà au rendez-vous quand la charrette parut au tournant de la route. De loin ils crurent que Claude la conduisait.

« Non, ce n'est pas elle, dit Michel quand le véhicule se fut approché. Je me demande si les filles ont eu notre message. Il me semble qu'elles seraient déjà là. Eh bien, attendons encore quelques minutes. »

Ils se rasseyaient sur le banc lorsque la charrette s'arrêta devant eux. Paule les interpella.

« Vous êtes les frères d'Annie? Elle n'était pas à la ferme quand vous avez téléphoné et je viens à sa place, dit-elle. Montez!

 

 

— Nous vous sommes très reconnaissants, affirma François. Je suis François et voici Michel. Comment vous appelez-vous?

— Paule », répondit Paulette, et d'un claquement de langue, elle ordonna à la jument de rester tranquille. « Je suis ravie que vous soyez venus. Il y a à la ferme un tas de gosses trop petits pour nous. Dagobert sera content aussi.

— Bon vieux Dago! » s'écria Mick. Paule aida les deux garçons à charger les bagages; elle était mince, mais nerveuse et forte. « Tout est paré. Partons! »

Paule grimpa sur le siège, prit les rênes et fit de nouveau claquer sa langue. Les garçons étaient assis derrière elle. La jument partit au trot.

« Gentil garçon, ce Paul, dit Mick à François à voix basse. C'est très aimable à lui de venir nous chercher. »

François approuva d'un signe de tête. Il aurait préféré être accueilli par Annie, Claude et Dagobert, mais il se réjouissait de n'avoir pas à faire à pied, chargé comme un mulet, le long trajet jusqu'à la ferme.

Quand ils furent arrivés, Paule les aida à descendre les sacs et les valises. Mme Girard sortit pour leur souhaiter la bienvenue.

« Entrez vite et venez manger un morceau, vous avez sûrement déjeuné très tôt. Laissez les bagages là, Paule… inutile de les mettre dans la maison si les garçons couchent à l'écurie. Claude et Annie ne sont pas encore de retour. Quel dommage! »

Paule alla dételer la jument. Les garçons entrèrent dans la maison et Mme Girard leur offrit de la limonade et des gâteaux de sa façon. Ils venaient de s'asseoir à table quand Annie arriva en courant.

« Paule m'a dit que vous étiez là! Je suis désolée de vous avoir manqués. Nous pensions que vous arriviez par le train! »

Dagobert tout frétillant, sauta au cou des deux garçons; il précédait de peu Claude, rayonnante de joie.

« François! Mick! Quel bonheur de vous voir! Nous mourions d'ennui sans vous! Quelqu'un est-il allé à votre rencontre?

— Oui. Un très gentil garçon, dit Mick. Il nous a aidés à mettre nos bagages dans la charrette; il est tout à fait sympathique. Tu ne nous avais pas parlé de lui dans tes lettres.

— Oh! c'est Pierre, dit Annie. Il est petit et sans Intérêt.

— Non, il n'était pas petit, dit Mick. Il est au contraire grand et fort.

— De notre âge, il n'y a qu'une fille, expliqua Claude. Paulette… une odieuse créature. Elle veut passer pour un garçon et elle siffle tout le temps. Nous nous moquons d'elle et j'espère bien que vous ferez comme nous. »

Une brusque pensée frappa Annie. « Est-ce que le garçon qui vous a conduits ici vous a dit son nom? demanda-t-elle.

— Oui… Comment s'appelle-t-il donc? Ah! oui, Paul, répondit Mick. Je suis sûr de bien m'entendre avec lui. »

Claude les regarda comme si elle n'en croyait pas ses oreilles :

« Elle est allée vous chercher?

— Elle? Non, corrigea François, il. Je parle de Paul.

— Il n'y a pas de Paul! s'écria Claude, rouge de Colère. C'est Paulette, la peste dont je vous parlais tout à l'heure. Ne me dites pas que vous l'avez prise pour un garçon. Elle se fait appeler Paule au lieu de Paulette, pour prêter à confusion, et elle coupe ses cheveux très courts, mais…

— C'est exactement ce que tu fais toi-même, Claude, répliqua Mick. Ça, alors! Je n'ai pas pensé une minute que c'était une fille. Il… je veux dire elle… m'a fait l'effet d'un… enfin, d'une… de quelqu'un de très bien, quoi.

— Oh! s'écria Claude furieuse. Quel fléau et quelle menteuse!

— Calme-toi, Claude, ma vieille, dit François. Tu es bien contente, toi, qu'on te prenne souvent pour un garçon, ce qui est d'ailleurs une drôle d'idée. Paule est comme toi, tu ne peux pas le lui reprocher! »

Claude tapa du pied et sortit en courant. François se gratta la tête et se tourna vers Mick.

« Beau début! remarqua-t-il. Quelle sotte, cette Claude! Elle devrait pourtant s'entendre avec Paule; elles ont toutes les deux les mêmes marottes. Elle reviendra à de meilleurs sentiments, je l'espère.

— En attendant, nous en verrons de dures », soupira Annie.

Elle ne se trompait pas. Claude leur réservait de désagréables surprises.